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Fierté

écrit par Emilie


statut : achevé
date d’écriture :   Juin 2015


Ses paupières s’ouvrirent lentement et elle découvrit un plafond terne inconnu. Son regard pivota et embrassa la pièce. Des chemises, des pantalons, des cravates… Tout traînait en pêle-mêle sur le plancher. A travers ses portes, ouvertes, l’armoire dévoilait que peu de vêtements trouvaient refuge en elle. Une chambre d’adolescent. Voici la pensée qui s’imposa à son esprit. Par bonheur, son fils cadet rangeait beaucoup mieux ses affaires.

Cette analyse ne l’aida pas à retracer le fil des événements. Où était-elle ? Où avait-elle dormi ? Son crâne ne procurait aucun élancement. Elle n’était donc pas une victime de l’alcool à la suite d’une fête trop arrosée. De toute manière, cela se révélerait bien singulier. Elle ne buvait que très modérément.

Une respiration légère lui parvint soudain aux oreilles. Proche. Très proche. Elle n’était donc pas seule. Un frisson la parcourut entièrement à cette pensée. A côté de qui avait-elle passé cette nuit ? Et… qu’avaient-ils fait ? Et si… Et s’il s’était passé ce qu’elle imaginait, avaient-ils eu le bon sens de se protéger ?

Malgré sa réticence, elle voulut savoir. Elle devait savoir. Ainsi, la femme se tourna et découvrit qui reposait à ses côtés. Un homme brun, aux cheveux négligés, qu’elle connaissait plus que très bien. Hiroaki. Hiroaki… Son ex-mari. Interdite, elle resta immobile. Les mots refusaient de sortir de sa bouche et ses muscles, eux aussi, semblaient décidés à l’abandonner.

Hiroaki, au contraire, la dévorait du regard. Sa main gauche se tendit et caressa avec une grande tendresse sa joue. Elle prit alors conscience à ce moment que son autre bras enserrait sa taille depuis son réveil. Sans doute était-il là bien avant même.

La mémoire lui revint aussitôt.

Deux jours plus tôt, Yamato, son fils aîné, était passé à l’appartement voir son frère et avait oublié de reprendre son sac. A l’intérieur se trouvaient deux ouvrages pour son cours de Japonais ainsi que ses manuels de Mathématiques, de Géographie et d’Anglais. Son attitude laxiste l’avait d’abord indigné. Comment un lycéen de seconde année pouvait encore se comporter comme un écolier étourdi de cinquième année ? Elle aurait aimé avoir une sérieuse discussion avec lui même si elle savait que celui-ci refuserait alors de l’écouter. Néanmoins, incapable de supporter que le jeune homme se fasse punir, elle s’était empressée de lui rapporter ses affaires. Il n’était pas là. Seul Hiroaki l’avait accueilli.

Ce souvenir la rendait furieuse. Comment en était-elle venue à ainsi à abaisser ses défenses et à lui céder ? Ils étaient divorcés depuis onze ans. Comment pouvaient-ils ressentir encore de l’attirance l’un pour l’autre ? Elle se mentait à elle-même. Elle le savait. Son cÅ“ur était toujours resté tourné en direction de cet homme mais elle n’accepterait jamais de retourner avec lui. Jamais. Mais pourtant… Pourtant, elle l’aimait.

– Natsuko…

Le murmure de son prénom la fit tressaillir. Le souffle chaud sur sa nuque la rendait fébrile, hésitante. Et ses baisers, ses caresses… Elle avait tant envie de se blottir à nouveau dans ses bras. Ce serait si bien de tout oublier et de retourner dans le passé. Elle sentait peu à peu sa résolution faiblir. Déjà, ses mains touchaient la peau de ce torse qu’elles connaissaient par cÅ“ur. Seul son esprit résistait. Résister. Mais comment ? Comment lutter contre ses émotions et ses souvenirs ? Elle ferma les yeux et se concentra sur les moments ayant mis un terme à leur relation. Instantanément, sa tendresse se mua en colère.

– Laisse-moi !

Natsuko, le regard sévère, se redressa dans le lit. Confus, Hiroaki l’observa sans comprendre. Sa main toucha le haut de son dos. Elle ne le repoussa pas.

– Natsuko ?

– Nous avons déjà essayé, Hiroaki, dit-elle d’une voix calme en s’efforçant à masquer son trouble. Nous avons essayé et nous nous sommes détruits. A quoi bon ? Cette nuit… Cette nuit est juste une erreur.

Son ex-mari posa un baiser très léger sur son épaule puis ajouta :

– Et si au contraire, c’était une nouvelle chance que le destin nous offrait ? Natsuko… Tu m’as manqué. Les enfants aussi. Je…

– C’est inutile, Hiroaki, le coupa t-elle. Rien n’a changé. Nous sommes tous deux journalistes. Avec les mêmes horaires impossibles. Tout redeviendra vite comme autrefois. Les réflexions, les disputes…. Rien ne changera. Alors à quoi bon ?

Le silence accueillit cette sinistre déclaration que finit par briser Hiroaki.

– Je suppose que ni toi ni moi ne sommes faits pour mener une vie de couple ordinaire. Nous sommes trop… indépendants. Mais nous pourrions nous voir alors comme si nous étions de simples célibataires. Qu’en dis-tu ?

– Quelle excellente idée ! s’exclama Natsuko avec une forte ironie. Nous rencontrer de temps en temps dans un de nos appartements… Quelle solution pratique ! Ce n’est pas du tout comme si nous avions des fils qui vivent chez nous, n’est-ce pas ? Tu penses peut-être le divorce n’a pas assez gâché leur enfance ? Tu veux maintenant leur donner de faux espoirs sur une possible réconciliation entre nous ?

Le visage navré, Hiroaki baissa la tête.

– Non, tu as raison. Ils ont assez bavé comme ça. Alors…. Alors voyons à l’hôtel ! Là où personne ne pourra nous reconnaître !

– Non, répliqua sèchement. Je refuse de me comporter comme si je pratiquais l’adultère.

Sans laisser le temps à son ex-mari de lui faire une autre proposition, Natsuko se leva et chercha ses vêtements. Ses paroles et son comportement avaient semé le trouble dans son âme. Elle aurait tant désiré répondre de manière positive. Ses mains trouvèrent sa jupe de tailleur et elle commença à l’enfiler.

Tout en s’habillant, pour être certaine de ne pas céder à nouveau, elle s’efforça à se souvenir des raisons de leur séparation. Hiroaki et elle ne cessaient de se disputer à cause de son travail. Il lui reprochait continuellement de le faire passer avant leurs fils. Un jour, alors que Takeru avait à peine trois ans, il s’était blessé au bras en jouant avec un couteau dérobé dans un tiroir de la cuisine. Il lui en avait fait porter la responsable et entonné ce refrain, qui était peu à peu devenu l’hymne de leur couple, qu’une mère devait avant tout être dévouée à ses enfants. Ces accusations continuaient à la hanter. Elle ne lui pardonnerait pas. Jamais.

Alors que Natsuko terminait de remettre ses cheveux, Hiroaki, toujours assis dans le lit, s’avança et lui saisit la main.

– Natsuko ! s’écria t-il avant de se mettre à chercher ses mots. Je…. Je… Je t’aime !

Cet aveu, en dépit de lui faire battre le cÅ“ur à un rythme effréné, la rendit malheureuse. Ce serait plus simple que son ex-mari hurle, se mette en colère, l’insulte… Mais la tendresse et l’amour n’auraient pas raison de son ressentiment. Jamais. Elle ne céderait pas. Elle ne céderait jamais.

Lentement, incapable de lui faire du mal, Natsuko se libéra puis le repoussa en douceur. Elle s’empressa ensuite de reculer et de laisser un grand écart entre eux.

– Je suis désolée, murmura t-elle. J’ai… J’ai déjà quelqu’un moi. Ce n’est pas sérieux mais… Mais je ne t’aime plus.

Sur ces dernières paroles, ne pouvant supporter d’apercevoir une lueur de tristesse ou de désespoir dans son regard, elle quitta la chambre puis l’appartement. Presque au pas de course. Comme une voleuse s’enfuirait après l’accomplissement de son crime.

Puis, à l’extérieur, dans l’escalier, son corps entier la trahit. Ses jambes tremblèrent, chancelèrent et se dérobèrent. Des larmes coulèrent le long de ses joues. De véritables torrents.

Si seulement elle pouvait y retourner.

Si seulement elle pouvait se fondre encore dans ses bras.

Mais sa fierté le lui interdisait. Elle ne céderait pas. Jamais.

Ses sanglots redoublèrent.

Maudite fierté.

Fin de l’histoire