Le 15e anniversaire de Digimon Adventure : nostalgie et renouveau

Les équipes derrière Digital Monster ont travaillé d’arrache-pied pour installer ce nom dans le paysage culturel mondial. Même si la marque affiche une santé de fer, elle est synonyme d’un passé révolu pour le grand public ne gardant en mémoire que l’anime de leur enfance, Digimon Adventure.

Les dates sont très importantes dans l’imaginaire des Japonais, surtout quand il s’agit de les utiliser pour des raisons vénales. Par exemple le 1er août, c’est le Odaiba Memorial, où l’on célèbre cette fameuse journée où les sept protagonistes de Digimon Adventure se sont envolés pour la première fois vers le Digital World. Logique alors d’annoncer une nouvelle production ce fameux jour de 2014, lors du 15th Anniversary Event 0801 in Odaiba.
Nom du principal projet : Digimon Adventure tri.

Un dossier écrit par Dareen pour Digiduo, avril 2021

Jamais deux sans trois

Pour les fans, c’est l’extase. Digimon Adventure tri, troisième opus majeur du canon débuté en 1999, met à l’honneur les héros de leur jeunesse dans une nouvelle aventure à délecter sur grand écran, avec pas moins de six films sortis entre le 21 novembre 2015 et le 5 mai 2018 au Japon (1). Ceux-ci sont longtemps restés inédits en français, jusqu’au 5 mai 2020 en VOD chez ADN.
Au départ prévu pour trois semaines d’exploitation dans quelques cinémas, l’engouement est tel que la programmation s’élargie. Saikai, le premier film, vend près de 150k tickets dans à peine 10 cinémas au 4 janvier 2016 (229 millions de yens de recettes). Les ventes de DVD et Blu-ray ne sont pas en reste, entre 10k et 20k chaque film. C’est un carton plein.

L’entrain populaire permet aux ayants droits de tirer sur les bourses des fans aujourd’hui adultes, à travers des techniques maintes fois éprouvées, comme engorger le marché de goodies, ou des événements à durée limitée. La licence s’offre même sa première pièce de théâtre (Le Digimon Stage, 10 représentations en août 2017). En caressant également dans le sens du poil son public féminin, une cible reconnue comme dépensière, ils s’assurent des rentes sûres : dans le second film Ketsui, la séquence dans le Onsen Monogatari d’Odaiba leur est directement destinée.

De l’aveu même de Toei, ce succès leur a permis de négocier auprès des investisseurs des projets destinés à un public plus large, expliquant très certainement comment Digimon Adventure a pu renaitre sur le convoité créneau horaire « Fuji TV, dimanche matin, 9 h » au printemps 2020.

Un univers imparfait

Pourtant certains choix font grincer des dents. Entre le fan service exacerbé, l’apport d’un nouveau personnage féminin peu enrichissant dans l’équipe, des intrigues audacieuses mais pas suffisamment assumées au risque de brusquer, les films ne savent jamais sur quel pied danser. Plus frustrant, les besoins commerciaux obligent à éliminer de l’écran les protagonistes de Digimon Zero Two, au grand dam des fans. Pourtant, les films brillent par un dénouement étonnamment fataliste et sombre, dont son cynisme tranche avec les précédents opus.

Par ailleurs, Digimon Adventure tri. ne compose pas avec les anciennes équipes de production. C’est un staff tout neuf, mais néanmoins expérimenté qui se voit offrir les clés du projet. Le chara-design passe de la main de Katsuyoshi Nakatsuru à Atsuya Uki (Cencoroll, Tsuritama), changeant pour la première fois l’identité physique de l’œuvre. Keitaro Motonaga (Katanagatari, Jormungand) dirige l’ensemble, Yûko Kakihara (Aikatsu, Chihayafuru) écrit le scénario, et Kôji Itô (Jinrui wa suita shimashita) chapote l’animation. C’est solide, l’histoire est ambitieuse, mais l’exécution est perfectible, et le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Côté animation, de trop nombreux plans vides et statiques révèlent un cruel manque de créativité. Les précédents films nous avaient habitués à des standards bien plus élevés. Des fulgurances sont tout de même présentes durant les batailles de Digimon parmi les plus féroces jamais vues (merci Kôji Itô), rappelant les meilleurs moments cinématographiques de la franchise.

Events et ventes exclusives au Onsen Monogatari d’Odaiba, on tire la bourse des fans.

Notons qu’après le décès de Toshiko Fujita en 2018 (interprète originale de Taichi), la productrice historique Hiromi Seki avoua publiquement que le cast original des Enfants Elus ne fut pas reconduit pour cette production, car Fujita, au fait de sa maladie, refusa le rôle. Également en 2016, les fans pleurèrent la disparition de Yûko Mizutani (doublant Sora) et Kôji Wada (interprète des anisongs).

Le réseau passe aussi par le mobile

En parallèle de Digimon Adventure tri, une autre franchise fut lancée, Digimon Universe : Appli Monsters. Co-produite en 2016 par Bandai, Bandai Namco Entertainment, et Toei Animation, elle se décline sous la forme d’un jeu vidéo sur Nintendo 3DS, d’un jeu de cartes, des cartes à puce pour jouer sur des bornes mises à disposition dans des centres commerciaux, et bien sûr, un dessin animé de 52 épisodes diffusé entre octobre 2016 et septembre 2017 sur TV Tokyo le samedi matin. Chanceux que nous sommes, l’intégralité de la série fut diffusée sur la chaîne Boing sous le nom Digimon Appmon, avec un doublage français de très grande qualité (2) directement produite depuis la version japonaise, une première pour Digimon (3). Plus fort encore, la France est le premier pays au monde à la diffuser !

Affiche promotionnelle du dessin animée,
à droite une borne de jeu que l’on retrouve dans les centres commerciaux.

Son univers est bien différent de ce qui s’est fait auparavant. Jugez plutôt l’histoire de la série. Nous sommes en 2045, un jeune collégien nommé Haru voit sa vie bouleversée quand un Appmon apparaît de son téléphone. Souhaitant s’affirmer et devenir un « héros » comme son meilleur ami Yûjin, il s’embarque alors dans une grande aventure en compagnie d’un YouTubeur, d’une idole, et d’un hacker pour mettre fin aux agissements du terrible Léviathan, une IA dissimulée au fin fond du Dark Web. Ici, les Digimon sont nommés Appmon (contraction d’Application Monsters), et représentent chacun une application de smartphone : Gatchmon est un moteur de recherche, ou Musimon un lecteur de musique. Ils vivent dans les réseaux, et sont matérialisés dans le monde réel via un Appli Drive, un équivalent du Digivice des premières séries.

Aujourd’hui, les réseaux d’information sont omniprésents, mais il y a 20 ans, ils n’étaient pas aussi accessibles. À cette époque, Digimon usait de l’exotisme provoqué par cette technologie pour séduire le jeune public et se défaire de la concurrence. Mais le temps avançant, moins l’informatique est mise en avant dans les récits. Digimon Appmon réinstaure ces éléments en l’utilisant dans un cadre contemporain bien que situé dans le futur, car comme les protagonistes de la série, nous sommes dépendants de nos smartphones embarquant toutes sortes d’outils facilitant grandement notre quotidien. Le récit est critique vis-à-vis de cette technologie bien trop interconnectée, l’exhibant à travers des petites histoires où les Appmon jouent avec les limites des applications qu’ils représentent. Dans le second épisode, Navimon l’Appmon GPS trompe volontairement ses utilisateurs suivant aveuglément un chemin n’ayant aucun sens. Allant encore plus loin, la série n’hésite pas à évoquer les dangers qu’entraînent le développement de l’intelligence artificielle sur le devenir de l’humanité, pointant aussi la transcendance de la machine dans une romance subtile entre deux personnages principaux, un humain et un androïde, véritable fil rouge du récit. Une écriture intelligente signée Yôichi Katô, homme de confiance de Toei, derrière des mastodontes comme Yôkai Watch ou Duel Masters.

Les différentes applications mobiles de Appli Monsters, très proches d’un système Apple ou Android.

Malheureusement depuis la fin de la diffusion du dessin animé, aucun projet lié à la licence Digimon Universe n’est relevé.

La machine est relancée

Les deux projets sont très intéressants à analyser pour comprendre la manière dont fonctionne la franchise. Le premier se concentre sur la nostalgie des premiers émois digitaux, le fétichisme autour des huits élus et de leur partenaire. Le second prend plus de risque, et ramène le propos autour de l’informatique. Deux visions diamétralement différentes, complémentaires et non en opposition. C’est la multitude de vision artistique qui rend Digimon aussi riche et passionnant.

En plus d’un marketing puissant, on ne peut nier aujourd’hui que Digimon Adventure tri. a fortement contribué à remettre la licence au goût du jour dans le monde entier (4). La sortie de jeux Digimon salués par la critique comme Cyber Sleuth ou Next Order à la même période n’y est pas innocente non plus. La bonne nouvelle, c’est que les retours des spectateurs ont bien été entendus par Toei Animation pour la conception de Digimon Adventure Last Evolution Kizuna, le dernier film en date produit pour les 20 ans de Digimon Adventure et sorti au Japon le 21 février 2020, faisant suite à tri. et clôturant momentanément le canon débuté en 1999. Mais, incapables de toucher massivement les enfants comme à la grande époque malgré un nouvel essai via Digimon Appmon, les producteurs décidèrent d’utiliser leur joker : un reboot de l’œuvre maitresse Digimon Adventure. Mais tout ceci est une autre histoire.

(1) Films découpés en 26 épisodes pour la diffusion internationale.
(2) Bravo au studio Chinkel et son directeur de doublage, Pierre Bodson.
(3) Ce qui n’empêcha pas Boing de couper à la diffusion quelques scènes jugées « choquantes » pour le jeune public.
(4) Ou presque, car diffusée en simulcast aux USA via Crunchyroll, mais pas en Europe.

Ressources.
De très nombreuses ressources ont été utilisées pour la création de cet article, dont la plupart ont été recoupées. En plus des sites officiels des séries d’animation et films, voici une sélection.
Toei à propos du succès de Digimon Adventure tri.
Hiromi Seki à propos de Toshiko Fujita